Segpa … Sérieux
Le football et sa prétendue dimension universelle
Cette fameuse kermesse mondiale qui s’approche valait bien une bonne leçon de géographie. Tous ces pays dont les médias vont nous rebattre les oreilles, ne doivent pas rester inconnus de mes chers élèves. Ils ont déjà bien assez de mal à faire la distinction entre villes et pays ; l’aventure est périlleuse de leur faire comprendre que Lionel Messi ou Cristano Ronaldo que tous connaissent bien mieux que Victor Hugo ou Wolfgang Amadeus Mozart, évoluent dans des clubs mais aussi dans des équipes nationales qui ne sont pas au même endroit.
Ne compliquons pas les choses pour commencer mais contentons-nous de faire la liste des nations qualifiées. Pour les principales, pas de soucis ; les grandes formations du ballon rond sont connues de tous. Ajoutons à celles-là les pays africains dont les parents de certains sont originaires et nous avons sous le coude une bonne moitié des trente-deux qualifiés.
C’est alors le début des complications, d’autant que ce professeur qui veut gâcher le plaisir des élèves, leur demande de faire un tableau par continent. C’est encore une curieuse idée pour quelqu’un qui, si ça se trouve, ne regardera même pas cette immense manifestation planétaire. Les élèves en effet n’en reviennent pas quand je leur dis qu’elle ne m’intéresse vraiment pas du tout.
Ce qui me passionne c’est de leur faire comprendre la réalité de cette incroyable supercherie. Le tableau finit par éveiller quelques soupçons. Il émane de sa lecture comme une injustice flagrante, une volonté de ne pas être ce que les organisateurs prétendent que cette compétition sera : une manifestation à l’échelle de notre globe.
Même s’ils n’ont pas toutes les cartes en main, les élèves découvrent qu’il y a 13 qualifiés qui viennent de la vieille Europe, 10 du continent américain. La part du lion pour les anciens et les actuels maîtres du monde, car, fort heureusement pour la démonstration, les USA sont dans le lot. L’ Afrique, ce continent fou de foot, n’a droit qu’à 5 visas pour le Brésil. C’est bien plus que pour l’Asie, immense continent en devenir qui avec ses 3 représentants, n’est pas près, semble-t-il, de vendre des maillots et des ballons (quoique …).
Nous ignorerons superbement le dernier continent, si loin et si dispersé qu’il n’a pas sa place dans le concert du football. Seule l’Australie participe à ce grand raout. Il est vrai que les îles du Pacifique se sont données corps et âmes au Rugby, ce jeu qui demande bien trop de qualités et de réflexion pour satisfaire la masse immense.
Cette inégalité de la répartition interroge. Elle n’est pas en corrélation avec la population ni avec le nombre de pays et encore moins avec la popularité réelle de ce sport. C’est bien une question d’argent et d’histoire et non d’équité sportive. Le football est toujours la machine à déplacer les meilleurs Africains, à expatrier les virtuoses d’Amérique du Sud et à intégrer de gré ou de force les plus doués d’entre eux dans les nations riches.
Plus immoral que ça, ce n’est guère possible. De notre place d’Européens, nous avons toutes les raisons de nous enthousiasmer pour une épreuve qui fait encore la part belle à notre ancienne puissance économique. Mais bientôt, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres disciplines, des équipes en Asie ne tarderont pas à se constituer à coup de pétrodollars. Ce n’est pas là l’idée que l’on peut se faire de l’esprit sportif.
En attendant, c’est bien encore la compétition du fric que celle qui s’annonce prochainement. L’ Afrique méprisée, l’Afrique humiliée, l’Afrique vidée de ses meilleurs éléments au profit d’une Europe qui n’a pas toujours un regard aussi bienveillant pour les ressortissants de ce continent. Le sport ne fait pas bon ménage avec la logique et la dignité. Des furieux xénophobes applaudiront les exploits de joueurs de couleur pourvu qu’ils chantent avec ferveur l’hymne national.
Bien sûr, il n’est pas possible de pousser aussi loin la réflexion en classe mais il est encore utile de leur faire comprendre pourquoi les joueurs choisissent de jouer plutôt pour un pays que pour un autre. S’ il est possible d’opter pour le pays dont sont issus les parents et même les grands-parents, la naissance n’est pas le seul critère dans un sport où les frontières de la nationalité sont plus floues que celles des budgets. Ce choix n’est pas toujours celui du cœur, il est bien plus souvent celui de l’argent et de la gloire. C’est alors que se lézarde la belle façade et que la compétition en prend un bon coup dans les tibias.
Voilà qui est fait. Ils regarderont peut-être un peu différemment cette épreuve, fondamentalement inégalitaire, radicalement biaisée, indubitablement falsifiée. La glorieuse incertitude du sport n’existe pas, les dés sont pipés ; l’Afrique et l’Asie auront encore droit à des miettes au nom d’un pragmatisme qui n’est que purement économique. C’est insupportable et c’est ce que j’ai voulu montrer au cours de cette activité scolaire ! Rassurez-vous : cette façon de procéder n’est pas au programme et vous pouvez vous plaindre de ma parfaite mauvaise foi , vous serez écouté.
Footballophobement vôtre.
http://autrementvu.wordpress.com/2014/06/03/une-lecon-de-geographie-et-deconomie/