Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
L'Italie, stade suprême de dégénérescence anti-démocratique de l'Europe du capital. On croyait avoir tout vu, vingt-trois après la tragédie de la liquidation du Parti communiste italien. Est-ce le châtiment ? Non. L'expiation est encore longue.
Il y a trois mois nous annoncions que Matteo Renzi serait sans doute le futur Premier Ministre – avec pleine complaisance médiatique, confiance des milieux patronaux – mais on reste surpris par le mépris affiché par la classe politique italienne pour la démocratie bourgeoise.
Le démocrate-chrétien Renzi est le quatrième chef de gouvernement non-élu en trois ans : Mario Monti, Enrico Letta parachutés par la Commission européenne, soutenus par l' « Union sacrée » entre droite berlusconienne et gauche démocrate-libérale.
Cette fois, on atteint un nouveau cap. Renzi a proposé à la direction de son parti, le PD (ex-Parti communiste) un changement à la tête de l'exécutif, voté à la quasi-unanimité, avant de s'entendre avec Berlusconi pour obtenir le soutien de la droite et le coup d’État parlementaire est acté.
Le démocrate-chrétien européiste Enrico Letta est contraint, le couteau sous la gorge, humilié, à démissionner pour céder la place au démocrate-chrétien européiste Renzi. Comme le démocrate-chrétien européiste Monti avant lui. Que de changement décidément en Italie !
Les analystes analysent, se demandent qui se cache derrière ce coup d'Etat : les « guelfes » américains, les « gibelins » allemands. Que l'avenir de l'Italie se décide pour partie ailleurs qu'à Rome, c'est pas une découverte. Qu'il se décide sans le peuple italien, c'est une évidence.
Car le patronat italien est le premier responsable de ce coup d'Etat. Comme disait le politicien socialiste corrompu Bettino Craxi, si vous voulez savoir où va l'Italie, lisez le Corriere della Sera, le journal patronal milanais. Celui-ci a publié deux bombes, juste avant le coup d'Etat du 13 février.
D'abord, le 10 février, des extraits d'un livre du journaliste américain Alan Friedman qui révèle le complot anti-démocratique qui a conduit Mario Monti au pouvoir en 2011 : y sont impliqués le président Giorgio Napoletano, le banquier Corrado Passera (futur ministre de l'Economie) et le responsable de la BCE Mario Draghi. Un scandale connu de tous mais qui n'a pas fini d'éclater.
Ensuite, le 12 février. Un entretien avec Matteo Renzi où celui-ci parle de la « nécessité de courir » dans les réformes et évoque son plan pour l'Italie, son projet de « réformes structurelles », ses remerciements pour Letta, encore Président du Conseil … pour une dernière journée !
Matteo Renzi s'était fait connaître en Italie pour être le premier pour le « Mariage pour tous », qu'il a remisé depuis en « union libre ». Lui est avant tout pour l' « union libre » entre patronat, milieux européens, syndicats contre les droits démocratiques et sociaux des travailleurs italiens !
Mariage avec Berlusconi et l'Union européenne pour liquider ce qu'il reste de la démocratie et de l'unité italiennes !
Depuis le début de l'année 2011, la seule obsession des milieux financiers européens, des dirigeants de l'Union européenne, c'est l'instabilité, l'ingouvernabilité de l'Italie imputées aux mauvais bougres Berlusconi et Grillo. C'était le message transmis par Olli Rehn, commissaire à l'économie, et Mario Draghi en septembre 2013, à la publication des comptes publics italiens.
Tant les populismes aux relents fascisants de Berlusconi et Grillo que les manœuvres « putschistes » des centristes du PD et du PdL, avec le soutien de l'UE, ont contribué à discréditer la mascarade de la démocratie italienne. L' « Union sacrée » contre la démocratie, depuis 2011, l'a achevée.
La première mission de Renzi est de mettre fin à cette instabilité par une réforme électorale déjà négociée avec Berlusconi.
De fait, le passage de la proportionnelle à un système majoritaire : prime majoritaire si une force dépasse les 35 % au premier tour, seuil minimal entre 5 et 8 %, passage de 26 à 120 circonscriptions, un coup d'Etat dans le coup d'Etat qui va installer un bi-polarisme consensuel en Italie.
Seconde mission, réaliser la réforme de l'organisation de l’État : nouvelle vague de régionalisation et métropolisation. Cela va passer notamment par la suppression du Sénat (!), remplacé par une Chambre des grands maires et des présidents de région. Une vraie « Chambre des pairs » féodale !
Le gouvernement Renzi va poursuivre l’œuvre de Monti en supprimant les « provinces » (l'équivalent de nos départements) : vers l'Europe des métropoles, des super-régions, la casse du cadre national, Renzi en soldat zélé de l'Europe des régions voulue par le capital !
Mariage avec le patronat italien (et les milieux d'affaires euro-américains) pour réaliser les « réformes structurelles » !
Cela fait plusieurs années que le publicitaire de formation Renzi, maire de la ville des banquiers, Florence, assure sa promotion : l'Obama italien porte comme le disait Berlusconi « nos idées (celle du patronat) sous la bannière du PD ».
Appuyé par la Fondation patronale Big Bang, épaulé par les économistes libéraux de la Bocconi (la Dauphine italienne) comme Luigi Zingales, Renzi a élaboré le programme patronal, inspiré du blairisme : baisse des cotisations patronales et exonération fiscale, libéralisation du marché du travail et précarisation intégrale, coupes dans les dépenses publiques.
Il faut se souvenir de sa position en 2011 quand le patron de la FIAT lançait une attaque sans précédent contre les conditions de travail des ouvriers de Pomigliano (Napmes) et Mirafiori (Turin), actée par référendum interne, à l'exclusion de la FIOM, le syndicat de classe : Renzi avait dit alors qu'il aurait voté « sans hésitation » pour le PDG de la Fiat s'il avait été ouvrier (sic).
Car Renzi est né dans le monde patronal. Fils de Tiziano Renzi, ex-député démocrate-chrétien, entrepreneur qui contrôle la majorité de la distribution des journaux, de la publicité dans la région, à la tête d'un conglomérat financier et immobilier avec le groupe Baldassani-Tognozzi-Pontello.
Ami des patrons, Renzi l'est déjà à Florence, y compris chez les familles patriciennes historiques : les Frescobaldi (vins, patriciens), les Fratini (immobilier), les Folonari (vins), les Bini Smaghi (dont le dernier Lorenzo a été conseiller de la BCE puis nommé par Renzi président d'une Fondation!).
Des relations nouées surtout dans le milieu de l'immobilier et des médias : avec le groupe Poli (immobilier, médias, propriétaire de chaînes locales), l'éditeur Mario Curia (président du MEDEF local), Bassilichi (sous-traitant), les promoteurs Bacci et Bartaloni.
Pas étonnant qu'en dix ans passées à Florence, un culte de la personnalité ait été entretenu par la presse locale puis nationale : ceux qui tiennent les médias sont souvent les mêmes qui ont profité de sa politique de grands travaux, de sa casse des services municipalisés !
Un patronat local qui a fait sa publicité au niveau national, par l'entremise également de l'entrepreneur immobilier Marco Carrai et de l'homme d'affaires Davide Serra, les deux proches des milieux financiers anglais et américains, qui ont construit son image de « Tony Blair » et « Obama » italien.
Parmi les patrons italiens « de gauche » (sic) qui ont soutenu publiquement Renzi : les patrons de Tod's, Olivetti, Vodafone, Prada, Unicredit, de Agostini (édition), Generali, Gucci.
Comme le disait le banquier d'affaires Guido Roberto Vitale : « Renzi parle comme quelqu'un de la gauche moderne, civilisée, qui ne diabolise pas le capitalisme et n'a pas lu Marx » (re-sic).
Quels que soient ses réseaux, Renzi a déjà bénéficié de l'adoubement du président de la CONFINDUNSTRIA(MEDEF italien) Giorgio Squinzi qui avait déclaré en juin 2012 : « Si je pouvais, je voterais pour lui » !
Plus récemment, il a affirmé son accord avec les propositions pour le « marché du travail » de Renzi en décembre 2013. Les deux se sont rencontrés le 6 février dernier à une rencontre sur les « métropoles » à Florence.
Le jour même Squinzi lance un ultimatum à Letta : « Si le 19 février, il n'a rien à proposer aux industriels, alors nous nous tournerons vers le Président pour former un nouveau gouvernement ». Une semaine après, Letta tombe, Renzi le remplace. Sic transit gloria mundi.
Mais alors quels sont ces réformes promises au patronat italien tant attendu ? Comme si Monti n'avait pas déjà tout donné (hausse de la TVA, suppression de postes de fonctionnaires, réforme des retraites, flexibilisation du travail). Mais les patrons ont toujours soif.
Le cadeau numéro 1, c'est un plan de cadeaux fiscaux d'une ampleur inédite, au nom de la « baisse du coût du travail » et de la « restauration de la compétitivité ». Il a promis déjà une baisse de 10 % de la taxe professionnelle.
Mais surtout, Renzi a annoncé une baisse drastique des cotisations sociales patronales et de nouvelles exonérations pour les « entreprises qui embauchent », les opposant à celles qui soi-disant privilégient la finance.
Suivons Renzi dans le Corriere : « Bon, les revenus financiers sont taxés à 20 %, le travail pratiquement 50 % : on rééquilibre ? ». Nul besoin de dire dans quel sens, si on suit Renzi, c'est la casse des cotisations sociales patronales, des cadeaux de plusieurs dizaines de milliards en perspective !
On voit tout le danger, soit dit en passant, du discours trompeur opposant entreprises « industrielles » et « financières » – ce sont les mêmes depuis 150 ans –, des propos dangereux sur la « modulation des cotisations sociales », sur la « taxation de la finance plutôt que de travail » : cela sert à des blairistes comme Renzi pour casser la cotisation sociale, gaver le patronat !
Le cadeau numéro 2, c'est le plan de casse intégrale du Code du Travail.
Inspiré par les réformes de Clinton aux Etats-unis, Blair en Grande-Bretagne, Schroder en Allemagne, Renzi propose d'instaurer un « Revenu minimum universel » (RMI italien) et de supprimer les allocations-chômage après le premier refus d'une offre d'emploi, avec obligation de suivre un cursus de formation professionnelle (une adaptation de la flexsécurité nordique).
Renzi propose également un « Contrat unique d'insertion » pour toute nouvelle embauche, un CDI de façade avec une période d'essai de trois ans laissant une facilité totale de licenciement, en contradiction avec le sacro-saint article 18 de la Constitution interdisant les licenciements non-motivés ! C'est la version italienne du CPE français refusé en 2006.
« Union libre » avec les syndicats pour faire passer un plan de casse du code du travail !
Une attaque sans précédent contre le Code du travail, des cadeaux monstres pour les entreprises, une liquidation de la démocratie née de la résistance : que font les syndicats ?
Sans surprise, les syndicats jaunes CISL et l'UIL signent. Raffaele Bonnani, secrétaire-général de la CISL : « On est favorables. La flexibilité nous convient, si elle est mieux payée. L'idée d'avoir un contrat unique nous plaît aussi, si cela permet d'éliminer les contrats bidons ».
On attendrait de la CGIL, le syndicat historiquement proche du Parti communiste, une condamnation ferme et sans équivoque. C'est peine perdue. Voici la position de la secrétaire-générale Susanna Camusso :
« On espérait une plus grande ambition (sic) », mais elle salue le revenu minimum, le contrat unique d'insertion et ajoute :« Il ne suffit pas de dire que la libre initiative du marché des entreprises, peut-être avec quelques incitatifs, favorisera la relance. Ce sont des choses utiles, toutes, mais il faut des moyens pour créer des emplois ».
Oui, vous avez bien entendu : la secrétaire de la CGIL qui se félicite de la casse du Code du travail, des cadeaux aux patrons comme seule issue à la crise mais reproche que cela n'aille pas assez loin. Étonnant ? Hélas non.
On se rappelle qu'en juillet 2012 lors des « Rencontres de la CGIL » Susanna Camusso et Giorgio Squinzi (président de la CONFINDUNSTRIA) étaient tombés d'accord sur tout ou presque : coupes dans les dépenses publiques, réforme des retraites, réforme du code du travail, intégration européenne !
En septembre 2013, la CGIL a signé un texte commun avec la CISL, l'UIL mais aussi la Confindunstria pour demander une « Loi de stabilité pour l'emploi et la croissance ».
Dans ce document édifiant, est posée comme valeur première la « stabilité », la « gouvernabilité », le respect des « orientations de l'UE », comme leitmotiv : « la réduction des charges fiscales sur le travail et les entreprises ».
Parmi les réformes avancées alors par les syndicats : réduire les cotisations sociales, la part travail de la taxe professionnelle, aides publiques aux projets innovants, métropolisation, régionalisation et contrôle des dépenses publiques.Un programme aujourd'hui fait sien par Renzi !
Gravissime la façon dont la CGIL identifie les intérêts du « travail » avec ceux des « entreprises » (capital). Quand Camusso se félicite que Renzi « mette au centre les préoccupations du travail », il faut comprendre les entreprises bien sûr.
Où est la gauche … elle achève le divorce avec les classes populaires, légitime la casse de la démocratie dans le cadre national !
Les travailleurs italiens saignés, la démocratie italienne liquidée par les héritiers de l'ancien Parti communiste.Que fait la gauche ? Que font les héritiers « vivants » du PCI ?
C'est là que la tragédie italienne devient farce. Refondation communiste met toute son énergie dans … les élections européennes.
La dernière idée issu du cerveau fécond de M.Paolo Ferrero, secrétaire de Refondation : ne pas présenter une tête de liste communiste italienne mais … Alexis Tsipras, le leader de SYRIZA grec, imposé par le PGE comme candidat supra-national à la Commission européenne.
Nul besoin de re-présenter Tsipras – ses positions franchement keynésiennes, son adhésion au projet européen, ses propositions de collaboration aux dirigeants de l'UE, sa lutte contre le Parti communiste en Grèce – on le connaît trop bien.
C'est sur le principe même que le bât blesse, comme le souligne le Parti des communistes italiens (PdCI). Au moment où l'Union européenne méprise jusqu'à la démocratie italienne, les droits sociaux conquis dans le cadre national :
comment oser faire acte d'allégeance à l'UE avec cette « liste Tsipras », en portant la candidature supra-nationale d'un européiste à l'institution la plus anti-démocratique de cette UE des monopoles ?
Nul doute que le divorce sans cesse consommé entre Refondation – en pleine dérive droitière depuis une quinzaine d'années – et les classes populaires en Italie va continuer à s'accélérer.
Le ridicule ne tue pas pour Refondation, le PGE. Hélas, le plan d'austérité concocté par Renzi avec les milieux patronaux italiens, européens, co-signé par les syndicats, oui. Il va assassiner la démocratie sociale italienne, les miettes de ce qu'il en reste depuis la liquidation du PCI.