Publié le 24/06/2014 à 13:51 par najatehaie
Arnaud Montebourg visitant le site Alstom de Belfort en mars 2013 (photo © S. Bozon/AFP).
Après Peugeot, Alstom ou le « retour de l’État stratège »… Plusieurs syndicats souhaitent que l'État « nationalise » la dette de la SNCF et de RFF… Nouvelle donne de la mondialisation ou faux-semblants au moment où l'Argentine se retrouve, elle, au bord du gouffre sous les coups des fonds vautours et de la Justice américaine. L’État et le marché convolent à nouveau pour le pire du mélange des genres. Rétablissons les choses au nom d'une autre vision du monde.
Détour par l'Argentine d'abord parce qu'elle se retrouve à une décennie d'intervalle dans une situation impossible, menacée cette fois de défaut de paiement à très court terme. Sa dette souveraine en est la cause. Une dette pour partie absolument illégitime puisqu'elle relève dans ce cas précis de l'action des fonds vautours qui ont refusé à l'époque de participer à la restructuration quand 95 % des détenteurs de papiers argentins en acceptèrent la perspective et les modalités. L'une n'était pas discutable au nom de l'intérêt général, les secondes l'étaient comme elles le sont toujours. Un de ces fonds voyous, prêteur de 50 millions de dollars à l'époque, en réclame aujourd'hui 1,3 milliard. Le pire, c'est que la Justice américaine jusqu'à la Cour suprême avalise cette tentative d'extorsion de fonds arguant que l’État argentin ne pouvait imposer à tous ses débiteurs une restructuration de sa dette et qu'il n'est nullement fondé aujourd'hui à distinguer entre ceux-ci en remboursant les uns et en ignorant les autres. Tous les États, en particulier européens, sont à ce titre concernés. Si ce jugement, marqué du sceau de la culture de marché nord-américaine, devait s'imposer, alors plus aucune restructuration ne serait sécurisée nulle part sur la planète. L'existence d'un tribunal arbitral international en la matière ne s'en trouve que plus fondée, mais à la condition impérative qu'il soit inspiré par l'intérêt général et non par la présupposée légitimité de tous les intérêts privés. C'est l'un des enjeux du Traité transatlantique en cours de négociation dans l'opacité entre Washington et Bruxelles. Les Européens ont donc tout intérêt à se déclarer solidaires de Buenos Aires en imposant d'autres critères que le jeu sauvage du marché pour régir les échanges économiques.
Là où tout se complique, c'est que cultures et pratiques économiques ne se conjuguent pas harmonieusement de part et d'autre de l'Atlantique. Aux États-Unis, où la culture de marché irrigue tous les pores de la société, l’État sait imposer sa loi au marché au nom de l'intérêt supérieur du pays. C'est ainsi que les banques, d'origine américaine ou étrangère dont BNP-Paribas, passent à la caisse les unes après les autres pour leurs fraudes et opérations illégales en tout genre. Le Trésor américain a ainsi récupéré plusieurs dizaines de milliards quand ses homologues européens sont à la diète faute de la moindre poursuite judiciaire à l'encontre des pratiques délinquantes des établissements bancaires, dans le déclenchement et le déroulement de la crise de 2008-2013 notamment. Hollande s'est même fait rembarré par Obama quand il a prétendu plaider au nom de BNP-Paribas sur le thème « une amende oui, mais raisonnable ». À l'inverse et à l'initiative de Montebourg, le gouvernement Valls s'est lancé à corps perdu dans un remake du mécano industriel d'antan, du temps du Général. Chez Peugeot comme chez Alstom, l’État entre ou monte directement au capital d'entreprises jugées stratégiques. Il n'a pas ou plus les moyens d'assumer correctement ses missions dans l’Éducation ou la santé, mais il va dépenser des milliards à jouer l'actionnaire, qui plus est minoritaire, serait-il celui de référence. Ce n'est pas à proprement parler une « nationalisation » avec prise de contrôle des manettes, mais un « droit de veto », prétend-il, ou plus exactement une « garantie » qu'il paiera quoiqu'il arrive et à supposer qu'il en ait encore les moyens. C'est à cette mesure que les investisseurs privés, y compris américains, sont consentants à pareille aubaine, quitte à améliorer à la marge leur mise initiale comme vient de le faire GE.
Ce mélange des genres et des responsabilités procède d'un mirage que cultivent Montebourg et quelques autres, celui de la revitalisation de l’État-nation. On est parti dans l'affaire Alstom d'un « Airbus – européen – de l'énergie » pour aboutir à une co-entreprise plurielle américano-française. Du point de vue du marché, cela s'entendait et nous l'avions dit et écrit dès le départ. Du point de vue des intérêts des contribuables français et de l'Europe, c'est plus discutable quand l’État met la main à la poche. Fallait-il en effet que l’État-nation intervienne à grand renfort de moulinets et de milliards ? D'autant que l'on imagine sans peine l'impasse que constituerait une généralisation du modèle. À ce titre, il n'est pas davantage souhaitable que l’État, sauf à se mettre en faillite, « nationalise » les dettes des entreprises, assumeraient-elles des missions d'intérêt général comme la SNCF et RFF. Il n'en va pas différemment quand l’État capitulant sur l'écotaxe poids lourds, renonçant de ce fait au financement de plusieurs projets de transport en commun, s'apprête à investir directement dans une co-entreprise avec des investisseurs privés. Il faut plutôt aller vers une claire répartition des rôles et des responsabilités où la puissance publique, seule garante possible de l'intérêt général, se garde de jouer à l'actionnaire inspiré – elle ne l'est jamais – et se réserve en revanche de peser de tout son poids et de son autorité par la loi sur les conditions générales de la production et de la distribution des biens et services. L’État ne peut en théorie et en pratique réguler le marché que s'il n'en est pas un des acteurs intéressés d'autant que, compte tenu des volumes de valorisation considérés, il ne saurait en être qu'un acteur mineur. Cela vaut pour les Etats les plus puissants et à plus forte raison pour les États-nations européens en déclin. C'est le seul moyen d'éviter le double écueil soit du tout libéral où l’État disparaît ou presque de la scène en temps normal soit du tout bureaucratique où celui-ci est toujours omniprésent paralysant toute initiative qui ne procède pas de lui. Les peuples ont largement donné au XXe siècle dans ces impasses pour ne pas y revenir.