Source : Pour les États-Unis : http://www.realtytrac.com/content/foreclosure-market-report/2012-year-end-foreclosure-market-report-7547 ;
Pour l’Espagne : http://afectadosporlahipoteca.com/wp-content/uploads/2013/02/RETROSPECTIVA-SOBRE-DESAHUCIOS-Y-EJECUCIONES-HIPOTECARIAS-EN-ESPAÑA-COLAUALEMANY1.pdf
Le rôle des banques privées est manifestement si important et indispensable au système capitaliste que leur fonctionnement transcende les contraintes légales et constitutionnelles des sociétés modernes. Dès lors, la justice se voile la face devant les délits et crimes commis par les banques et leurs dirigeants afin de leur éviter de passer ne serait-ce qu’un jour en prison. En fin de compte, on ne peut tout de même pas poursuivre en justice un dirigeant d’une institution bancaire qui « ne fait que le travail de Dieu » |11| , pour citer Lloyd Blankfein, patron de Goldman Sachs.
La déclaration ci-dessus pourrait prêter à sourire si des transactions entre banques et autorités judiciaires ou de contrôle ne venaient pas régulièrement confirmer l’application de la doctrine « trop grandes pour être condamnées » des deux côtés de l’Océan Atlantique. Les affaires se suivent et la justice se borne à des amendes qui représentent bien souvent une maigre fraction des bénéfices issus d’activités illégales, sans qu’aucun dirigeant ne soit inquiété. Tout au plus comparaissent devant des tribunaux et sont condamnés des lampistes comme Jérôme Kerviel, jamais les patrons qui les ont poussés à augmenter les bénéfices de l’entreprise en utilisant toutes les entourloupes possibles et imaginables.
Six exemples suffisent pour témoigner de la situation actuelle :
1. les accords passés entre les banques des États-Unis et différentes autorités du pays afin d’éviter une condamnation en justice dans l’affaire des prêts hypothécaires abusifs et des expulsions illégales de logement (foreclosures) ;
2. HSBC (1e banque britannique) mise à l’amende aux États-Unis pour blanchiment d’argent des cartels mexicains et colombiens de la drogue ;
3. la manipulation des taux d’intérêt interbancaire et des taux sur les dérivés connue comme l’affaire du LIBOR ;
4. le scandale des « prêts toxiques » en France ;
5. les activités illégales de Dexia en Israël ;
6. l’évasion fiscale internationale organisée par la principale banque suisse UBS.
Dans cette série ces 6 exemples seront analysés.
Conclusion
Il apparaît clairement que les banques et autres grandes institutions financières de dimension mondiale, agissant souvent en bande organisée (en cartel), font montre d’un niveau rarement observé à ce jour de cynisme et d’abus de pouvoir. Aujourd’hui, après que les États aient mis l’argent public à disposition des entités financières dont les paris spéculatifs ont mal tourné, les magistrats en charge de faire appliquer la loi s’emploient à protéger les responsables de ces entités et banalisent ainsi, voire justifient a posteriori la conduite illégale ou criminelle dont ils se sont rendus coupables.
Un tel contexte, où règne l’impunité, encourage les dirigeants des firmes financières à davantage d’abus et de prises de risque. Les banques en tant qu’institutions ne sont pas condamnées, et le plus souvent ne sont même pas convoquées devant un tribunal.
Ces banques font porter l’entière responsabilité à des traders comme Jérôme Kerviel et quelques dizaines d’autres et obtiennent que la justice les condamne pour leur avoir porté préjudice.
La situation des principaux dirigeants des banques est bien différente : le montant de leurs bonus croît suite à l’augmentation des revenus de la banque (il n’est pas rare de voir que le bonus augmente même en cas de baisse de la rentabilité de la banque), indépendamment de l’origine illégale des ressources ou du fait qu’elles soient issues d’activités financières spéculatives extrêmement risquées. Dans le pire des cas, s’ils sont découverts, ils n’ont qu’à quitter l’institution (souvent avec un parachute doré), ils ne seront pas poursuivis par la justice et conserveront sur leurs comptes bancaires l’entièreté des bénéfices obtenus.
Tant que ce genre de dispositif pervers est maintenu, les abus et le pillage des ressources publiques de la part du système financier ne peuvent que se prolonger au fil du temps.
Au-delà des hauts dirigeants, il faut souligner l’impunité des banques elles-mêmes à qui les autorités appliquent la doctrine « Too Big To Jail ». Il s’agit surtout de la démonstration de l’imbrication étroite entre les directions des banques, leurs grands actionnaires, les gouvernants et les différents organes vitaux des États.
En cas de graves manquements, il faut mettre en pratique une solution radicale : retirer la licence bancaire aux banques coupables de crimes, bannir définitivement certaines de leurs activités, poursuivre en justice les dirigeants et les grands actionnaires. Il faut aussi obtenir des réparations de la part des dirigeants et des grands actionnaires.
Enfin, il est urgent de diviser chaque grande banque en plusieurs entités afin de limiter les risques, de socialiser ces banques en les plaçant sous contrôle citoyen, et de créer ainsi un service public bancaire qui donnera la priorité à la satisfaction des besoins sociaux et à la protection de la nature.
Notes
|1| L’auteur remercie Daniel Munevar, économiste du CADTM, qui a produit une première synthèse concise très utile sur le sujet et l’a autorisé à s’en inspirer librement. L’auteur a ensuite largement complété la recherche. Voir l’article original de Daniel Munevar, « La doctrine « trop grandes pour être condamnées » ou comment les banques sont au-dessus des lois », 20 septembre 2013,www.cadtm.org/La-doctrine-trop-grandes-pour-etre
|2| Les médias anglo-saxons utilisent régulièrement cette expression depuis 2 ans : voir par exemple : Abcnews, "Once Again, Is JPMorgan Chase Too Big to Jail ?", 7 Janvier 2014,http://abcnews.go.com/Blotter/madoff-ponzi-scheme-prosecutors-find-jpmorgan-chase-big/story?id=21448264 ou Forbes, "Why DOJ Deemed Bank Execs Too Big To Jail", 29 juillet 2013,http://www.forbes.com/sites/tedkaufman/2013/07/29/why-doj-deemed-bank-execs-too-big-to-jail/
|3| Autre manière d’écrire qu’aucune banque ne s’est vu retirer la licence bancaire. En effet, pour mener les opérations bancaires, une institution financière doit obtenir une licence bancaire.
|4| La faillite de sa filiale nommée Icesave au Royaume-Uni et aux Pays-Bas a provoqué une crise internationale entre ces deux pays et l’Islande. Cette crise se poursuit encore en 2014 car le R-U et les Pays Bas vont en appel contre la sentence de la cours d’arbitrage qui a donné raison à l’Islande en janvier 2013. Voir Financial Times, « Iceland premier repels Icesave lawsuit », 12 février 2014.
|5| Comme l’écrit le Financial Times : “Iceland, almost uniquely in the western world, has launched criminal cases against the men who used to lead its three main banks that collapsed after the global financial crisis in 2008 after collectively becoming 10 times the size of the island’s economy.” 13 décembre 2013. Voir : http://www.ft.com/intl/cms/s/0/eab58f7e-6345-11e3-a87d-00144feabdc0.html#axzz2thdbsViQ
|6| Voir plus loin l’action de Dexia dans les territoires palestiniens occupés par Israël.
|7| Huffingtonpost, “Holder admits some Banks too big to jail”, disponible sur :http://www.huffingtonpost.com/2013/03/06/eric-holder-banks-too-big_n_2821741.html Sur ce site, on peut voir et écouter la partie du témoignage du procureur général des États-Unis où il déclare : "I am concerned that the size of some of these institutions becomes so large that it does become difficult for us to prosecute them when we are hit with indications that if you do prosecute, if you do bring a criminal charge, it will have a negative impact on the national economy, perhaps even the world economy…". Durée de la vidéo : 57 secondes. Cela vaut la peine.
|8| Une étude récente sur les pratiques de crédits des banques aux États-Unis signale qu’en dépit de leur hétérogénéité, les irrégularités et les faux sont présents à divers degrés dans toutes les institutions financières analysées. Voir “Asset Quality Misrepresentation by Financial Intermediaries : Evidence from RMBS Market”, disponible sur : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2215422
|9| The New York Times, “Banks to pay $8,5 billion to speed up housing relief”, 7 janvier 2013,http://dealbook.nytimes.com/2013/01/07/banks-to-pay-8-5-billion-to-speed-up-housing-relief/?_php=true&_type=blogs&_php=true&_type=blogs&_r=1
|10| OECD (2010) “The Impact of the Financial Crisis on Defined Benefit Plans and the Need for Counter-Cyclical Funding Regulations”, http://www.oecd.org/pensions/private-pensions/45694491.pdf
|11| The Wall Street Journal, “Goldman Sachs Blankfein : Doing Gods work”, 9 novembre 2009,http://blogs.wsj.com/marketbeat/2009/11/09/goldman-sachs-blankfein-on-banking-doing-gods-work/
Éric Toussaint, maître de conférence à l’université de Liège, préside le CADTM Belgique et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est auteur des livres Procès d’un homme exemplaire, Editions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet du livre AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège, http://www.cadtm.org/Le-CADTM-recoit-le-prix-du-livre
Prochain livre à paraître en avril 2014 : Bancocratie chez ADEN
http://cadtm.org/Les-banques-et-la-nouvelle