Le 9 juillet 2013.
Le 27 juin dernier, Médiapart organisait un débat filmé entre Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement, ancien eurodéputé EELV et Cédric Durand, universitaire, qui a coordonné un essai intitulé En finir avec l’Europe qui évoque la sortie de l’euro (éditions La Fabrique) [1].
Face aux politiques d’austérité menées par les gouvernements des pays membres de l’Union européenne, l’idée de la sortie de l’euro et de l’Union européenne progresse dans les opinions publiques. Depuis quelques mois, des voix se font entendre à gauche qui rejoignent cette opinion.
- en Allemagne : Oskar Lafontaine, un des fondateurs du parti de gauche allemand Die Linke, s’est prononcé pour l’abandon de l’euro [2] ;
- en Grèce : l’un des dirigeants de Syriza a fondé un nouveau parti en faveur de la sortie de l’euro [3] ;
- au Portugal : le parti communiste s’est prononcé pour une rupture d’avec l’euro [4].
- en Espagne : les jeunesses communistes se prononcent pour la sortie de l’euro, ainsi que des personnalités dont l’ancien président d’Attac Espagne.
Au sein de la gauche française, les prises de positions se sont également multipliées :
- en février, la tendance du PCF "Faire vivre le communisme" a déposé une motion pour la sortie de l’euro et de l’Union européenne au congrès du Parti communiste français ;
- en mai, l’économiste Frédéric Lordon s’est clairement positionné pour la sortie de l’euro [5] ;
- toujours en mai, les éditions La Fabrique ont publié un livre intitulé En finir avec l’Europe, sous la direction de Cédric Durand, livre auquel un écho certain a été donné ;
- en juin, Bernard Cassen, président d’honneur d’ATTAC, a publié un texte dans lequel il dénonce le « conservatisme » de la gauche de gauche [6].
Cette liste n’est pas exhaustive et vient allonger celle déjà existante des personnalités et des organisations de gauche qui, en plus du M’PEP, défendent cette idée (Jacques Sapir, Attac Bruxelles, le PRCF, les Clubs « Penser la France », etc.). Il semble qu’un tabou tombe et qu’il est enfin admis de débattre de la sortie de l’euro.
En réaction, se sont multipliées à gauche des prises de position contre la sortie de l’euro et de l’Union européenne. D’une manière parfois virulente :
- au cours du congrès du Parti de gauche en mars, Christophe Batardy, dirigeant PG en Loire-Atlantique déclare que sortir de l’euro « serait s’inscrire dans une ligne nationaliste » [7].
- le 14 avril un article publié sur le site du Parti de gauche amalgame sortie de l’euro et Front national [8] ;
- le 18 juin, sur le site de la revue Économie et politique, l’économiste Paul Boccara (PCF), publie avec d’autres un article contre la sortie de l’euro [9]. Ces derniers y déclarent que la sortie de l’euro est « une illusion démagogique et dangereuse » ;
- le 25 juin, sur le site du quotidien l’Humanité, Pierre Ivorra explique que le retour aux monnaies nationales serait un « chacun pour soi » égoïste [10].
Pascal Canfin explique que, dans le but de faire émerger l’« Europe sociale », le gouvernement PS-EELV inscrit son action dans la stratégie de la transformation de l’UE « par l’intérieur » en tentant de faire évoluer le rapport des forces en son sein. Or, cette stratégie est celle défendue par le Front de gauche [11] et par les grandes fédérations et confédérations syndicales (à travers la CES notamment) [12].
Cédric Durand est membre du Front de gauche (il est adhérent de la Gauche anticapitaliste qui est une des composantes du Front de gauche). Il serait donc possible d’être au Front de gauche et d’y défendre publiquement la sortie de l’euro et de l’Union européenne ?
Dans les faits, le gouvernement PS-EELV applique les politiques libérales d’austérité au nom de la « construction » européenne, comme les gouvernements précédents. Le discours de Pascal Canfin vise à brouiller les cartes. Cette méthode est utilisée régulièrement par les classes dominantes pour faire croire à l’opinion publique qu’elles défendent les intérêts du peuple français dans la jungle libérale. On se souvient de François Hollande et du traité « Merkosy » (et de ce qu’il advint finalement). Plus récemment, on se souvient de la mascarade de « l’exception culturelle » lors des négociations sur le traité transatlantique.
Dans l’essai coordonné par Cédric Durand, les dirigeants du M’PEP sont classés dans la catégorie des partisans d’une « impasse politique souverainiste ou nationaliste ». On nous explique en effet que la reconquête de la souveraineté nationale est une chimère [13]. Dans un article publié octobre 2012 sur le site de Médiapart [14], le même Cédric Durant explique que la reconquête de la souveraineté serait une « logique de repli national, dangereuse en ce qu’elle tend à opposer les différents peuples » et hors de portée du fait d’une mondialisation qu’il considère comme étant irréversible.
Que si un représentant du gouvernement peut brouiller les cartes comme il le fait sur un grand média – et laisser ainsi croire qu’il est un homme de gauche - c’est que le flou du discours de la « gauche de gauche » sur la question européenne le lui permet. Comme elle, il nous dit concernant l’Union européenne « qu’il est pour mais qu’il est contre ».
Qu’il est permis d’être au Front de gauche lorsqu’on est pour la sortie de l’euro à la condition qu’on ne remette pas en cause le libre-échange. On voit donc sous nos yeux se jouer une opération de récupération. La poussée des revendications anti-Union européenne et anti-euro oblige les différentes organisations politiques à flouter leurs positions en laissant s’exprimer en leur nom des gens qui semblent défendre d’autres idées que « la ligne ». Elles tentent ainsi de donner l’impression qu’elles « collent » à l’opinion publique et se donnent par la même occasion une chance de conserver quelque-chose lors du chambardement politique qu’elles redoutent de plus en plus.
Pour le M’PEP, le libre-échange, la financiarisation de l’économie et la suppression des processus démocratiques par la dissolution des souverainetés nationales dans les carcans des traités supranationaux constituent bien désormais le cœur du problème dans le rapport de force capital/travail. C’est la raison pour laquelle il faut l’attaquer radicalement et prendre un certain nombre de mesures protectionnistes. Toute solution passe donc nécessairement et préalablement par une reconquête de la souveraineté nationale ce que refusent les partis de la gauche englués dans leur européisme béat. Ils refusent de voir qu’il faut se débarrasser de l’Union européenne et revenir au niveau des États-nations où des formes de solidarité sont déjà institutionnalisées, des rudiments de fonctionnement démocratiques sont déjà inscrits et où des luttes victorieuses ont déjà été menées.
Ce n’est pas pour rien si les libéraux et le Medef veulent les détruire. Et cela n’a rien à voir avec un repli sur soit, puisqu’en parallèle nous proposons d’autres relations internationales, fondées sur la solidarité et la coopération et non sur la compétitivité et la concurrence.
Notes
[1] http://www.dailymotion.com/video/x1...
[2] http://www.m-pep.org/spip.php?article3330
[3] http://fr.euronews.com/2013/05/19/grece-la-tentation-du-retour-a-la-drachme/
[4] http://www.communcommune.com/articl...
[5] http://blog.mondediplo.net/2013-05-25-Pour-une-monnaie-commune-sans-l-Allemagne-ou-avec#nh13
[6] http://www.m-pep.org/spip.php?article3335
[7] http://www.liberation.fr/politiques...
[8] http://www.lepartidegauche.fr/actualites/dossier/euro-l-euro-merkel-n-est-pas-une-fatalite-22338
[9] http://www.economie-politique.org/41453
[10] http://www.humanite.fr/social-eco/la-fausse-solution-de-la-sortie-de-l-euro-et-de-l-544506
[11] Dans son programme « L’humain d’abord », la BCE est conservée et ses missions sont modifiées http://www.pcf.fr/sites/default/files/l-humain_dabord.pdf
[12] https://docs.google.com/viewer?a=v&...
[13] « En finir avec l’Europe » page 139.
[14] http://blogs.mediapart.fr/edition/l...
http://www.m-pep.org/spip.php?article3394