Quel journaliste n'a pas connu cela ? Sur le terrain, en train de couvrir une manif, une expulsion, un fait divers, alors que l'on commence à prendre quelques photos, on aperçoit à travers l'objectif une main gantée qui vient boucher la vue. "Pas de photo", "virez-moi cette appareil ou on vous le confisque" voir même "vous effacez les photos tout de suite, montrez-moi". En face, un policier de la BAC, un CRS, un gendarme. le ton est ferme, parfois agressif et, surtout, de plus en plus fréquent. Les membre des différentes forces de l'ordre que l'on peut croiser sur un événement n'hésitent plus à mettre en garde : en cas de publication de la photo, ils attaqueront.
En Espagne, où les manifestations tendues se multiplient depuis des mois, le gouvernement prépare même une loi interdisant de photographier et filmer les policiers, purement et simplement.
Alors, peut-on encore photographier des policiers en toute liberté, ou risque-t-on un procès ?
Que dit la loi en la matière ? Malgré ce que certains policiers affirment haut et fort lorsqu'ils ne veulent pas être photographiés, la législation est très simple : " Quand il sont liés à une actu, manif, fait-divers, escorte dans les affaires judiciaires, un journaliste peut librement montrer les policiers. Il n'y a qu'une véritable exception prévue par la loi, ceux qui figurent sur une liste fixée par arrêté suivant les termes de la loi de 1881 ", explique Isabelle Béal, juriste spécialisée dans le droit des médias.
Et la liste, que l'on retrouve dans un arrêté du 7 avril 2011, est précise :
Bref, si vous êtes sur le lieu d'un événement public et que le brave pandore qui veut vous interdire de le prendre en photo ne fait pas partie de la brigade anti-commando, de la section antiterroriste ou de l'un des groupes ci-dessus, il n'a aucune possibilité légale de vous l'interdire.
Et comme le fait remarquer Isabelle Béal, si vous vous sentez de rentrer dans les subtilités du droit avec votre interlocuteur, vous pouvez toujours lui faire remarquer que " seule la diffusion de l'image est ici punissable, pas sa fixation, ni la tentative de fixation. Un policier ne peut donc s'opposer à la prise d'images dans un lieu public, en lien avec une actualité ". Merci de retirer votre grosse main de mon objectif donc...
Quant à la menace, récurrente elle aussi, de saisir l'appareil photo ou la carte mémoire, elle n'a elle non plus aucune justification juridique : " un policier ne peut pas saisir des images. Il faut une décision judiciaire pour cela ".
Ainsi, en 2005, la Cour de Cassation a rendu un arrêt sur une situation tout à fait banale. Un quotidien avait fait paraître la photo de trois policiers participant à une reconstitution d'événement à la Gare du Nord. Lesquels ont attaqué le journal, et ont perdu. " La Cour d'Appel de Paris leur avait donné raison, mais la Cour de Cassation a cassé en retenant que l'image avait été prise dans un lieu public lors d'un évènement d'actualité durant lequel ces policiers exerçaient leur profession. (Cass.10 mai 2005)" précise Isabelle Béal.
Un quotidien régional avait lui aussi été attaqué par un gradé qui n'avait pas apprécié de retrouver sa photo illustrant un article sur une attaque de fourgon blindé. Mais le gradé en question ne faisant partie d'aucun des corps protégé de la fameuse liste ci-dessus, " son anonymat n'est pas légalement protégé. Il a été débouté et condamné à payer 2000 euros au journal ".
Et la France pourrait-elle un jour adopter une loi similaire à celle que le gouvernement espagnol prévoit de mettre en place ? Pour notre juriste, il y a peu de chance : " la liberté de la presse est un principe constitutionnel, elle ne peut être limitée que par une loi. Cette loi ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté et doit être nécessaire dans une démocratie selon les critères de la CEDH. Le projet de loi espagnol pourrait être en l'état un peu trop large par rapport à ces critères ".
Erwanngaucher