Nous nous enfonçons dans les profondeurs de la “crise”, seulement sous un soleil radieux et de ce fait radical. Les apparences sont ainsi sauves car prétendument bien légères. Les représentants de la Troïka sont à Athènes pour “négocier” et on évoque déjà la suppression de toutes les polices municipales du pays. Devant “leur” ministère, de nombreux agents ont alors conspué les Troïkans, puis, ce fut le silence... des agneaux, jusqu’à la prochaine fois. Notre fatigue déjà, ainsi que le courage visiblement égaré des gauches du pays, feraient de notre nouveau régime politique, le “meilleur” despotisme du monde finissant. Et c’est le... monde qui serait finissant, plutôt que le despotisme.
Le journaliste Kostas Arvanitis, en deuxième plan, Yorgos Avgeropoulos et Aris Hatzistefanou. ERT, le 3 juillet
Lors d’une réunion ouverte devant la pelouse du bâtiment de notre ERT mardi soir, des journalistes issus du meilleur activisme réfléchi, ont débattu des suites à inventer pour ce qui est de l’expérimentation forcée sur la radio télédiffusion ERTienne, devenue alors pirate au beau milieu d’une mer troïkanne. Tout cela n’est guère évident, on le sait. Kostas Vaxevanis, le journaliste de la revue Hot Doc et des révélations sur la dite “liste Lagarde”, n’a pas hésité à parler “d'un véritable problème pour ce qui tient de la liberté de la presse en Grèce en ce moment”, tandis que d’autres intervenants ont à leur tour rappelé les pires évidences: “C'est déjà une nouvelle époque et une nouvelle étape vers la barbarie”. Aris Hatzistefanou, coréalisateur avec Katerina Kitidi du documentaire “Debtocraty”, a lancé l’idée de la création d’une plateforme alternative de diffusion du programme de la radiotélévision publique ERT et ceci, à l’échelle même du pays. Nikos Koundouros, réalisateur déjà de “L'Ogre d'Athènes” c’était en 1956, œuvre considérée comme un des grands films charnières du cinéma grec, a tout simplement rappelé que la disparition de la radiotélévision publique, ou évidemment sa renaissance forcée sous le régime de la Troïka, n’arrangera en rien, cet énorme déficit généralisé de culture télévisuelle que caractérise nos sociétés depuis un certain temps déjà. Au pays des mines d’or sur la terre d’Aristote les... Ogres d’Athènes sont déjà bien trop nombreux.
Cameraman. ERT, le 3 juillet
Nikos Koundouros. ERT, le 3 juillet
Les intervenants ont ainsi évoqué la gravité de la situation, puis “mutatis mutandis” rappelé certains antécédents historiques, comme la “chasse” à certaines chaînes de télévision en Argentine du temps de Carlos Menem, ou encore l’occupation de la télévision locale de la ville d’Oaxaca au Mexique en 2006. Ce qui ne fut tout de même pas un événement directement comparable à “l'autogestion provisoire” à ERT, et telle que nous la découvrons depuis déjà pratiquement un mois. Sauf que le “gouvernement” d’Antonis Samaras reste intraitable sur cette question comme sur tout le reste, et il a même présenté au “Parlement” une... loi instituant sa nouvelle radiotélévision, le tout évidemment à la hâte et sans même que le nombre exact quant aux chaînes et aux stations radio ne soit précisé.
Nous savons que nous participons à la fin de quelque chose et de toutes les choses à la fois, “nous nous trouvons déjà sous l'eau et dans ses profondeurs même les plus obscurs” comme le fit remarquer un des intervenants lors du débat. Je crains finalement que non, car le pire serait plutôt devant nous. Au risque de me répéter sur ce blog, je dirais que le temps mauvais ne fait que commencer, tout le laisse penser hélas, ce qui est bien perceptible, rien que par la force des symboles. Par exemple, et plus précisément s’agissant de la disparition de la radio ERA-3 (j'ose espérer provisoire car certains reportages évoquent une future reprise de ses émissions), de notre seule radio culturelle et musicale (musique classique). Le fameux Troisième Programme dont Manos Hadjidakis fut même le directeur vers la fin des années 1970 à l’immense satisfaction, alors initiatrice de nous tous, ainsi que de ses autres... enfants du Pirée.
Nous voilà alors plus seuls que jamais sous le bruit et bruitage de l’actualité, omniprésents. Sous l’assourdissante même politique de la Troïka, que l'on soit d’ailleurs d'accord ou pas avec ses... œuvres. Car je connais certaines personnes plutôt favorables ou sinon, pas tellement opposées au “gouvernement” Samaras et qui figuraient parmi les plus fidèles auditeurs du Troisième Programme. Cela accordait au moins à tout ce petit monde, ce temps dit de l’apaisement. Et peut-être bien, et surtout un accompagnement discret et néanmoins nécessaire au maintient de la réflexion.
Manifestation et concert contre le démentiellement du système de Santé. Athènes, le 2 juillet
J'avais dit il y a quelques mois à mes amis ici à Athènes que la disparition du Troisième Programme serait la preuve tangible d’un pas décisif vers la tyrannie et “l'acculturation finale”, déjà accompli. Évidemment, et en attendant la suite du thriller les “Ogres d'Athènes” et d’ailleurs, ne reculent et ne reculeront devant rien, jusqu’évidemment à leur prouver le contraire. Durant la semaine dernière, des manifestations à répétition ont rappelé combien ce qui subsiste encore de notre système de santé est menacé de disparition. Le quotidien “Elefterotypia” publie ce samedi 6 juillet, un reportage sur “la prochaine réorganisation du système de Santé grec par des managers étrangers trop bien rémunérés, et le tout, sous l'égide, l'impulsion, voire le contrôle d'un grand acteur du privé venu d'Allemagne. Le système grec de Santé, sa Sécurité Sociale, n’aura plus la même mission car elle deviendra en somme, un prestataire et en même temps un gestionnaire autofinancé d’un certain nombre de services alors vendus à la carte. Ainsi, et au-delà d’un paquet dit de base correspondant à un minimum de prestations au demeurant bien piètres, les clients du système devront donc en assumer directement le coût”. C’est vrai qu’à côté de telles nouvelles, la disparition du Troisième Programme peut passer inaperçue.
Karaghiozis et son voyage vers la lune. Athènes, juillet 2013
Heureusement que certaines habitudes ne se perdent pas, ou pas encore. C’est sous l’Acropole qu’il est encore possible de découvrir ces affiches en promotion d’un spectacle de “Karaghiozis en son voyage vers la lune”, ce personnage central du théâtre d'ombres grec alors issu du monde asiatique et aussi, de l’aire culturelle ottomane. Voilà enfin notre véritable part dans le rêve, la lune ou dans le voyage.
Cours de langue chinoise. Athènes, juillet 2013
Et en attendant... d’atteindre la lune, on aura au moins appris la langue chinoise, telle est en tout cas la suggestion qui ressort à la lecture de certaines affichettes de saison sur les murs d’Athènes. Elles font la promotion des cours particuliers ou par petits groupes, visant à préparer les candidats à la réussite au test d'évaluation de chinois ou Hanyu Shuiping Kaoshi, le seul test normalisé de la République populaire de Chine pour tester les compétences linguistiques en mandarin des personnes dont il n’est pas la langue maternelle, le “TOEFL Chinois” de premier niveau comme on dit communément. Au moins, et il faut le dire, la Troïka nous aura indirectement incités à une certaine ouverture culturelle et linguistique vers ce grand pays d’Asie.
“Démantèlement” d’une station service. Athènes, juillet 2013
Et il en va de même pour ce qui est des salaires et des retraites déjà, et cela préfigure les suites... événementielles concernant le monde du travail... au sein de l’eurobelt. D’après les derniers dispositifs du mémorandum III, et à défaut de convention collective, ce qui devient désormais la nouvelle règle commençant par certaines branches d’activité en Grèce, la rémunération légale en net, sera fixée à 586 euros par mois et ceci, pour six jours de travail par semaine, quotidien “Elefterotypia” du 28 juin 2013. Et pour ne rien laisser... au hasard, dorénavant les établissements d’enseignement privé auront comme ministère de tutelle celui du Travail, plutôt que celui de l’Éducation, toujours par obligation mémorandaire, “Elefterotypia” du 28 juin 2013.
Comme notre pays, nous nous transformons alors aussi. Nous figurerions alors parmi les premiers de la classe des mutants de la méta-démocratie, ainsi que de la nouvelle économie administrée paraît-il par certaines banques, d’après notre doxa commune en tout cas. Et de la... mutation, nous en prenons plein les yeux chaque jour. À l’exemple de certaines stations-service, déjà en faillite depuis l’année dernière. Elles sont en cours de “démentiellement” pour se transformer à autre chose, tandis qu’au même moment, de nombreux automobilistes, comme ce propriétaire d’un vieux pick-up à Athènes, et tout comme son voisin chômeur, ont déposé les plaques d’immatriculation de leurs véhicules à la Préfecture, ne pouvant plus les entretenir, et encore moins, faire face à l’imposition qui leur est liée. C’est ainsi que nos pompistes restants peuvent du coup raconter tant de petites histoires. Ce matin, et comme je me suis enfin décidé à mettre de l’essence pour 20 euros dans le réservoir de mon petit véhicule, un millésime... de 1992, j’ai assisté à une scène étonnante, relevant bien de nos nouveaux gestes. Car le pompiste est d’emblée venu chuchoter à mon oreille: “Alors, j'en mets pour combien ?” D’habitude cette question se posait à... voix haute, plus maintenant. “Cher Monsieur, voilà, il y ces gens qui arrivent au volant de leurs grosses cylindrées longues de cinq mètres, et qui plus est, allemandes et ils veulent acheter de l’essence pour seulement cinq ou dix euros. Inutile de dire qu’ils ont très honte, nous devons ainsi respecter une certaine discrétion. Et de toute manière, propriétaires de grosses cylindrées ou pas... les gens ont toujours honte dans pareilles circonstances”.
Représentant du FMI au sein de la Troïka en train de dormir lors des négociations. Quotidien “Elefterotypia” du 30 juin 2013
Évidemment, même de loin, on peut constater qu’un nombre encore non négligeable de propriétaires de grosses cylindrées ou de yachts ne perdent pas une seule... goutte de l’été grec, à l’image du chef politique des Grecs indépendants Panos Kammenos, ce petit parti anti-mémorandum des dissidents issus de la Nouvelle démocratie. Sauf que ce dernier serait, d’après la presse de la semaine dernière épinglé par le fisc grec, car son yacht de 18 mètres “n'aurait pas été légalement déclaré auprès des services compétents, appartenant dans un premier temps à une société offshore, et ceci durant près de 17 ans”. Nos autres personnalités de la dite “liste Lagarde” peuvent alors... dormir tranquilles, à l’image emblématique de ce représentant du FMI au sein de la Troïka, lequel, et d’après le quotidien “Elefterotypia” daté du 30 juin dernier, “dort systématiquement lors des négociations, pour ensuite se réveiller brusquement et en colère, traitant aussitôt les ministres et les négociateurs grecs d'incompétents”.
Malheureusement, notre vieux journal supposé de centre-gauche aurait pourtant plutôt tort. Les représentas de la Troïka auraient presque raison de sommeiller de la sorte, tant la politique du mémorandum nous parait relever d’un certain automatisme, tel par exemple un algorithme boursier. C’est ainsi que notre pays change... y compris par automatisme. La dernière petite mutation en date tient de la modernisation de l’hebdomadaire de l’Aube dorée, qui comme les autres journaux, offre à ses lecteurs un DVD “en cadeau”. Ce qui veut dire sans doute que de ce point de vue également, le “pays réel” de l’Aube dorée se banaliserait encore davantage. On peut donc dormir tranquillement du côté de la Troïka. Nonobstant cela, et cette semaine toujours, certains reportages ont rapporté cette information sur “la sortie de Poul Thomsen au centre-ville, il a souhaité acheter des fruits, et pour ce faire, tout un quartier a été bouclé. Ses nombreux gardes du corps auraient même été bien anxieux”. Notons que Poul Thomsen, illustre représentant du FMI, qui s’est fait huer par une foule de policiers municipaux la semaine dernière, devant le ministère... de la Reforme administrative. Ce qui veut dire que les représentants de la Troïka ne sentiraient plus tellement en sécurité à Athènes. Qui sait ?
L'Aube dorée... et son DVD. Juillet 2013
Ce qui sans doute laisse les habitants de notre territoire assez indifférents d’après ce qu’on peut entendre ici ou là, et parmi eux, y figure certainement le propriétaire du vieux pick-up ainsi que son voisin chômeur. Cet été 2013 est bien étrange, plus étrange même que celui de 2012. ERT se trouve toujours à l’agonie, de milliers de fonctionnaires viennent d’être placés sous le régime de la “disponibilité” comme on vient de l’annoncer ce samedi soir 6 juillet, dont 2.500 issus du personnel hospitalier, preuve que finalement la Troïka ne dort jamais. Mais de toutes les manières, nos plages proches d’Athènes sont plus bondées que jamais en ce moment, à l’instar de cette de Voula qui pourtant est payante, à 4 euros l’entrée. Mais entre baigneurs on peut encore une fois entendre ces discussions qui ne s’égareront pas des vagues de saison, s’agissant aussi de celles de licenciement: “Je suis très en colère, j'ai été licenciée il y a dix jours, rien que pour ne pas toucher mon salaire en entier. Ce salopard de parton m'a déjà proposé à réintégrer la boîte, sauf que dans pareil cas, je dois signer un nouveau contrat et ainsi accepter un salaire de misère... je ne sais pas comment réagir... voilà, même de la plage je n’arrive plus à en profiter”.
Le pick-up sans plaques d'immatriculation. Athènes, juillet 2013
ERT, le 3 juillet
La plage. Voula, juillet 2013
Il y a pourtant plus grave encore... même du côté des plages en ce moment en Grèce. Comme ailleurs dans les Cyclades, à Naxos, Milos, Andros, Paros, Antiparos d’après le reportage de l’hebdomadaire “To Pontiki”, des bandes côtières, ainsi que de plages jusque là classées “Natura 2000”, passeront sous le contrôle du TAIPED, autrement-dit, cette “hyper-caisse” des créanciers et autres “rapaces” de notre dernière modernité.
Comme ailleurs dans les Cyclades, et comme à Syros, pour ce qui est de la plage d’Arméos. Sur place notre amie S., et amie également du blog, tire la sonnette d’alarme, une pétition même est lancée sur Internet à ce sujet: “C'est une pétition qui pourrait avoir un effet... vous savez que le gouvernement grec brade tout, et en particulier les côtes, les ports, les zones archéologiques, et les zones protégées. Et ils ont Syros dans le radar, en particulier un village de la côte, Galissas. La requalification de cette partie de la côte ouest, et sa vente - son bradage - cela signifie très immédiatement non seulement la destruction d'une zone très belle de roselière le long de la mer - en soi un miracle, vu que toutes les côtes sont bétonnées, routées, construites, mais ça veut dire aussi la destruction de ce paradis absolu, miraculeux, qu'est notre plage préférée, Arméos, et dont je vous envoie des images via mon blog: une source d'eau douce, une vraie jungle (unique sur Syros), pas de construction, aucune main de l'homme en vue depuis la plage, un village néolithique juste au-dessus de cette plage, et des gens qui y viennent depuis 20, 30 ans, touristes et grecs, qui ont planté des arbres, nettoyé la source, et maintenu cette zone, à 5 minutes de Galissas, absolument indemne et magique. La pétition a été lancée par une trentaine de propriétaires de cette côte. Les terres ont toujours appartenu à ces familles de pêcheurs, qui sont devenus restaurateurs, hôteliers, qui ont des campings, chambres chez l'habitant, etc. mais surtout, qui ont réussi à garder une sorte de sauvagerie à ce microcosme. Il faut les aider à garder cette zone telle qu'elle est, merci de signer et de diffuser”.
La mer à Arméos. Syros, été 2012
La plage d'Arméos. Syros, été 2012
Après avoir rendu... nos plaques d’immatriculation, notre appartenance au monde du travail et au monde tout court, voilà qu’alors nous rendrions Arméos au... futur béton armé. Les tropismes de la dite crise s'avéreraient enfin tristes, davantage même que les... Tropiques de jadis.
Voiture d'un chômeur sans plaques d'immatriculation. Athènes, juillet 2013
Sauf que l’ordre de notre monde n’est pas totalement brouillé par les “Ogres” d’Athènes et d’ailleurs. L’été 2013 sait aussi se montrer déjà doux avec nous: Sous l’Acropole il y a ces adespotes, ainsi que l’affichage de tout notre théâtre d’ombres.
http://www.greekcrisis.fr/2013/07/Fr0256.html